Lettres publiées dans le journal « Morgenbladet » et tirées du livre d’Herloff :
« Danse macabre à Berlin ».  Textes adaptés par Patricia Gandin 

"Chaque reportage réalisé en Allemagne, pendant mon séjour, était risqué. Je réduisais les films aux dimensions d’une boîte d’allumettes pour les faire passer en Suède puis au Danemark.
Le dernier Noël à Berlin, je l’ai passé entre les ruines. Le soir du 24, j’ai entendu le « Tirrekassemanden » et quelques fausses notes de « Douce Nuit» qui s’échappaient d’un orgue de Barbarie. Des enfants de 4 ou 5 ans l’entourait ; ils n’avaient jamais connu un Noël en temps de paix.
J’ai donné quelques petites pièces à l’organiste en espérant qu’il arrêterait la musique, cette musique qui me rappelait ma famille, ma maison, si loin… Il arrêta seulement quand je lui ai tendu un ticket de rationnement valable pour un morceau de pain noir.
Cette nuit-là, quand les bombardements ont commencé, je me suis réfugié, avec des milliers de Berlinois, dans le métro Alexanderplatz. Pendant les poses, certains essayaient de repartir chez eux mais ils revenaient vite sous un pilonnage intense.
En rentrant chez moi, au petit matin dans un froid glacial, mes pensées allaient vers la France, l’Angleterre, la Pologne, la Belgique… J’étais au milieu d’Allemands aussi frigorifiés que moi mais qui, quelques années auparavant, étaient si fiers en croyant conquérir le monde".


"Le samedi 3 février 1945 restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Les sirènes ont retenti plus tôt que d’habitude. Sans trop m’inquiéter, je me suis dirigé vers un abri près du zoo mais on m’en a interdit l’accès : le bunker n’abritait que des femmes et des enfants.
J’ai marché vers le parc Tiergartens devenu un cimetière de voitures et de troncs d’arbres et je me suis réfugié dans un cratère d’obus, bien profond.
Il faisait un temps magnifique, une de ces journées où le printemps semble s’épanouir, très en avance. Mais le cratère était inondé après les dernières pluies.
L’attaque commença dans un bruit métallique de machines de guerre. La terre tremblait, les éclats d’obus tombaient autour de mon abri soulevant la terre qui retombait sur moi. Je commençais à regretter de n’être pas resté en plein air tout en essayant de garder mon calme et de maîtriser les battements de mon cœur. C’était difficile dans cet enfer. Le ciel était noir, noir d’avions qui volaient très bas, noir de nuages de fumées… Berlin brûlait.
Un bruit effrayant, indescriptible m’a fait enfoncer la tête dans la boue pensant ma dernière heure arrivée. Quand j’ai enfin eu le courage d'en sortir et d’ouvrir les yeux, j’ai vu le visage d’un noir au-dessus de mon cratère. C’était un pilote américain dont l’avion venait de s’écraser près de moi. J’étais seul près de cette carcasse d’avion, de son moteur qui prenait feu et de ce noir mort au-dessus de moi.
Je me suis dit qu’il ne semblait pas aussi mort qu’un blanc ! Mais était-il vraiment mort ? Je pouvais peut-être le secourir. J’ai grimpé hors de mon trou comme je le pouvais et j’ai touché son visage, il était froid.
J’ai poussé sa tête hors du cratère pour ne plus voir son regard et je suis redescendu dans cette fosse où j’ai passé encore quatre heures"
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